Le théâtre Kabuki

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Personnage de kabuki

Le kabuki (歌舞伎) est la forme épique du théâtre japonais traditionnel. Centré sur un jeu d’acteur à la fois spectaculaire et codifié, il se distingue par le maquillage élaboré des acteurs et l’abondance de dispositifs scéniques destinés à souligner les paroxysmes et les retournements de la pièce.

Les trois idéogrammes du mot signifient : chant (ka), danse (bu) et habileté technique (ki). Il s’agit vraisemblablement d’ateji (caractères utilisés pour leur seule valeur phonétique), et il semble qu’il s’agisse de la forme ancienne du verbe katamuku (傾く), à l’époque kabuku, désignant ce qui était peu orthodoxe, en référence à une forme de théâtre considérée à l’époque comme d’avant-garde.

Toyohara KUNICHIKA (1835 - 1900) : The kabuki actors (right to left) Ichimura Kakitsu IV as Asahina Tobei, Nakamura Shikan IV as Washi no Chokichi and Sawamura Tosshi II as Yume no Ichirobei, IV/1868

Toyohara KUNICHIKA (1835 – 1900) : The kabuki actors (right to left) Ichimura Kakitsu IV as Asahina Tobei, Nakamura Shikan IV as Washi no Chokichi and Sawamura Tosshi II as Yume no Ichirobei, IV/1868

1603–1653 : Origine féminine du kabuki

L’origine du kabuki remonte aux spectacles religieux d’une prêtresse nommée Okuni, en 1603. Au cours de ces spectacles, une séquence la présentait déguisée en homme en train de prendre du bon temps dans un quartier de plaisirs1. Scandaleux, ils furent rapidement arrêtés, pour renaître sous la forme de spectacles donnés par des prostituées dans le lit asséché des rivières. Ce yujo kabuki (littéralement « kabuki des prostituées ») devint rapidement très populaire, en partie du fait de son rôle de mise en valeur des prostituées, qui donnaient délibérément un caractère sexuellement suggestif aux danses. Le premier théâtre de kabuki, le théâtre Saruwaka-za (猿若座), est fondé en 1624 dans un quartier qui couvre aujourd’hui Nihonbashi et Kyōbashi à Tokyo, par Saruwaka Kanzaburō2. Un tambour est placé en haut d’une tour au-dessus du théâtre pour attirer les clients. Il sera par la suite déplacé à Ningyōchō.

Izumo no Okuni, fondatrice du kabuki durant les années 1600.

Izumo no Okuni, fondatrice du kabuki durant les années 1600.

Les représentations prirent brutalement fin avec la restriction par le shogunat Tokugawa des prostituées à des quartiers réservés (kuruwa) en 1629. Entre-temps (à partir de 1612), les troupes de femmes (onna kabuki) avaient vu émerger la concurrence d’un kabuki d’hommes (wakashu kabuki ou ōkabuki), pour éviter les troubles à l’ordre public. L’interdiction des troupes de femmes propulsa ce type de troupes au premier rang, les jeunes garçons pouvant jouer les rôles féminins à s’y méprendre. Avec le changement de sexe, le jeu des acteurs changea, la danse étant délaissée au profit de l’action dramatique et des postures mettant en valeur le physique de l’acteur. La réprobation quant aux mœurs dissolues des jeunes acteurs ainsi que les troubles à l’ordre public (il n’était pas rare que les représentations se terminent en bagarres pour s’assurer les faveurs des acteurs en vue) conduisirent à l’interdiction en 1642 des plus jeunes acteurs, jusqu’à ce qu’en 1653, seuls les hommes d’âge mûr soient autorisés à jouer, aboutissant au yarō kabuki.

1653 : Kabuki masculin

Le yarō kabuki (野郎歌舞伎) subit, sous l’influence du Kyogen (théâtre comique lié au théâtre nô, très apprécié du shogunat), un changement de style radical en direction d’une haute sophistication et de la stylisation du jeu. Parallèlement, des hommes se spécialisèrent dans les rôles féminins. Appelés onnagata ou oyama (deux lectures des caractères 女形), le but de ces acteurs est d’exprimer la féminité aussi bien sinon mieux qu’une femme. Depuis quelques années, des actrices étudient de nouveau le kabuki avec succès, sans pour autant détrôner les stars onnagata traditionnelles telles que Tamasaburō ou Jakuemon.

Ichikawa Omezou(市川男女蔵) dans le rôle de Yakko Ippei

Ichikawa Omezou(市川男女蔵) dans le rôle de Yakko Ippei

C’est à cette époque qu’apparurent deux styles de jeu importants: le style « rude » (aragoto), créé par Ichikawa Danjūrō (1660–1704), et le style « souple » (wagoto) créé par Sakata Tōjūrō dans le Kansai. Le premier se caractérise par un jeu outré, où les acteurs accentuent la prononciation des mots et leur gestuelle (les costumes et le maquillage sont aussi exagérés). L’appellation dérive d’un mot désignant les manières brutales des guerriers. En outre, le jeu des acteurs met l’accent sur l’action, et les personnages sont souvent dotés de facultés exceptionnelles. En revanche, dans le wagoto, le jeu des acteurs a un phrasé plus réaliste, et plus adapté à des pièces tournant pour l’essentiel autour d’une romance tragique.

Ces différences reflètent celles du public. Le public de Kyoto, formé d’aristocrates raffinés, préférait le wagoto et des pièces racontant la descente sociale de jeunes hommes pris de passion pour des prostituées et abandonnant leur état pour une vie misérable, ou au contraire une vie de plaisir. Formé de marchands, le public d’Osaka affectionnait les pièces mettant en avant des samouraïs indignes ou méchants, avec des histoires liées à des faits divers d’actualité. La jeune ville d’Edo, avec une population largement masculine et remuante, fut enfin logiquement le creuset pour un style plus rugueux, convenant à des pièces où le héros redresse les torts à la force du poigne.

Kumadori

Kumadori

Les pièces de Kabuki évoquent des événements historiques et le conflit moral lié aux relations affectives. Les acteurs déclament sur un ton monotone et sont accompagnés d’instruments traditionnels japonais. La scène est équipée de plusieurs dispositifs, notamment des décors rotatifs et des trappes par lesquelles les acteurs peuvent apparaître et disparaître. Une autre spécificité de la scène du Kabuki est une passerelle (hanamichi) qui s’avance au milieu du public.

Les principales caractéristiques du théâtre Kabuki sont sa musique propre, ses costumes, les équipements scénographiques et les accessoires, ainsi que des répertoires spécifiques, un style de langue et de jeu, comme le mie, où l’acteur se fige dans une prend une position particulière pour camper son personnage. Le Keshô, ou maquillage, offre un élément de style facilement reconnaissable, même pour ceux qui ne sont pas très ferrés sur cette forme d’art.

Après 1868, quand le Japon s’est ouvert aux influences occidentales, les acteurs se sont attachés à améliorer la réputation du Kabuki au sein des classes supérieures et à adapter les styles traditionnels aux goûts modernes. Aujourd’hui, le Kabuki est la forme de théâtre japonais traditionnel la plus appréciée.

Reportage UNESCO

 

 

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